Par un froid matin de …

Par un froid matin de décembre, alors que je me rendais à Paris pour faire mes courses de Noël, je rencontrai un ami que je croyais disparu depuis bien longtemps. Ce jeune homme qui s’approchait maintenant de la trentaine était mon ami et voisin d’enfance, un petit garçon au caractère très particulier. Il était le benjamin d’une des plus importantes familles de Lyon, il avait donc reçu une éducation des plus rigoureuses et ne laissait place à aucune fantaisie. Pourtant, dès son plus jeune âge Floriant de Demansse inquiéta ses parents qui ne comprenaient pas son attitude incontrôlable et parfois même irrationnelle.

En effet, le jeune garçon avait d’importants troubles du comportement, il se prenait même parfois pour un animal féroce, mordant tout ceux qui l’approchaient ou encore pour un vagabond fou, hurlant pendant des heures entières. Je me souviens d’une photographie saisissante de Floriant enfant pendant l’une de ses crises […] M. et Mme de Demansse ne sachant pas comment s’occuper de leur fils et ne voulant pas le laisser salir l’honneur de leur famille, envoyèrent mon ami en pension en Suisse.

C’est pour cette raison que je ne l’avais pas vu depuis nos quatorze ans. Je ne le reconnus d’ailleurs pas immédiatement quand je le croisai car quelque chose de différent émanait de lui. Il avait pourtant gardé son air ténébreux, sa silhouette osseuse, sa chevelure noire comme le jais, ses yeux bleus métalliques qui le distinguaient du commun de mes connaissances. Mais les traits de son visage avaient changé, ils étaient plus relâchés, plus harmonieux et lui donnaient une expression tranquille et heureuse que je ne lui avais jamais vue, il semblait avoir trouvé la paix intérieure.

Après d’émouvantes retrouvailles, il me raconta ce qui lui était arrivé depuis son départ en pension. Ayant réussi à s’échapper de cette prison dorée, il eut pendant dix ans une vie de débauche, mendiant, volant, de ville en ville. Néanmoins, il appréciait cette vie où il pouvait exprimer sa créativité : il écrivait des poèmes sur son quotidien, peignait à même le sol et dansait parfois seul dans les ruelles et tout cela le rendait heureux. Mais quelques temps avant que je le retrouve, las de vivre tel un loup solitaire sans contact ni échange, il marcha jusqu’à Paris pour rencontrer d’autres artistes. Il fit alors la connaissance d’une jeune femme qui crut en lui et l’aida à décupler ses talents. Il habitait maintenant dans un petit appartement dans le centre de Paris et grâce à la vente de ses œuvres, vivait convenablement. Lui qui avait toujours été rejeté par la société, pouvait depuis son arrivée à Paris utiliser et montrer son intelligence, son savoir et sa créativité dans un milieu où il était désormais reconnu et respecté. Nous nous quittâmes après avoir promis de nous revoir rapidement et je rentrai chez moi de très bonne humeur, ravi de savoir que mon ami d’enfance avait enfin une vie qui le rendait heureux sans le mettre en danger.

Malgré toutes ces bonnes nouvelles, je ressentais une légère inquiétude en me demandant combien de temps passerait avant que les crises de folie viennent de nouveau empêcher ce cher Floriant de Demansse de vivre paisiblement.

Emma